En Francais

I was extremely flattered a couple of months ago to get an email from Carine Beauzor, a student in Canada, saying she had to pick an author to translate into French for her advanced literary translation course and had chosen my stories A Man of Few Words and Storytelling. (Original English versions at those links.)

So here are both those stories en Francais. It’s fun to read pieces you wrote in a language you don’t speak. Seems like a good way to learn too.

And if anyone’s looking for a superstar translator, I heartily recommend Carine – she’s terrific, as you’ll see if you read on. I massively appreciate her excellent work.

A man of few words David Cook

Translated into French by Carine Beauzor

Un homme de peu de mots
« Bon, ce qu’il y a c’est que… » m’a dit le docteur.

Assis face à lui, les jambes croisées, je l’observais par-dessus la monture de mes lunettes.

« On a fait quelques vérifications », a-t-il continué « et ce problème avec votre gorge c’est… »

J’ai attendu. J’ai pensé au cancer parce que j’imagine toujours le pire — comme ça on n’est jamais déçu –, mais il en faisait des tonnes au lieu de m’annoncer la nouvelle. Ce n’était quand même pas la première fois qu’il faisait ça ?

Il s’est arrêté. « Vous avez un problème », a-t-il enfin repris, « qui est plutôt insolite. Le trouble dont vous souffrez fait qu’à chaque mot que vous dites, votre gorge se resserre un tout petit peu plus. Si vous continuez à parler, vous allez mourir étouffé. C’est du jamais vu, il faut bien le dire. Nous avons consulté tous les ouvrages et les sites qui traitent des problèmes de gorge et… »

Je l’ai laissé continuer son blabla. C’est une bonne chose que lui ne soit pas atteint de ce trouble, ai-je pensé.

« Avez-vous des questions ?  » a-t-il dit pour finir.

Ah ben merci. Il me dit que si je parle trop, je vais mourir. Et ensuite, il me demande si j’ai des  questions. Souhaiteriez-vous exprimer vos inquiétudes à haute voix et précipiter votre départ vers la table d’autopsie, monsieur ? Et bien, allez-y sans hésiter, monsieur ! On a justement le

fossoyeur au bout du fil. Évidemment que j’ai des questions, imbécile. Pourquoi moi ? Est-ce que quelqu’un d’autre a déjà eu ça  ? Est-ce que ça se soigne ? Est-ce que le nombre de syllabes compte ? Peut-être que si je me balade en utilisant des mots comme « septuagénaire » ou  « anticonstitutionnellement » ou que je déménage à Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch, mon quota de mots aura plus de valeur. L’injustice de la situation me faisait bouillir. J’ai décidé de poser une seule question, en espérant qu’il me restait plus de sept mots « Combien de mots me reste t-il ? »
« Si on déduit ces sept-là, il vous en reste cinq cents.  »
« Cinq cents !? », ai-je hurlé avant de me rappeler à l’ordre et de me taire.
« Plus que quatre cent quatre-vingt-treize à présent », a dit le docteur.
J’ai fait signe à un taxi pour qu’il me ramène chez moi. « Où est-ce qu’on va, chef ? » a dit le chauffeur.
J’ai gribouillé mon adresse sur ma main au stylo à bille et la lui ai montré.
« Ça dit quoi mon gars ? J’ai pas mis mes lunettes, j’y vois rien. »
C’est vraiment dommage que j’habite Avenue Sa Majesté La Reine (Dieu La Bénisse) Est Venue En Visite Ici Jadis, qui s’appelait Petite Rue avant qu’un conseiller municipal patriote ne la renomme à la suite d’ une visite royale dans le parc du bout de la rue. Plus que quatre cent quatre-vingt sept.  J’ai passé le reste de la journée à mijoter là-dessus, sauf pendant les minutes où je me suis autorisé à paniquer de m’être fait ramener par un homme qui ne voyait pas sans ses lunettes. À plusieurs reprises, j’ai pensé que je n’aurais peut-être plus l’occasion d’utiliser mes mots restants. Je suis rentré chez moi sain et sauf, mais passablement déprimé. J’ai envoyé un message texte à ma mère lui disant que les nouvelles de l’hôpital étaient mauvaises.
« Je dteste txter », a-t-elle répondu. « Apel moi +tot. »
Soupir. « Je peux t’envoyer un courriel ? » ai-je demandé.
« Ordi kc. Apel stp. »
Après avoir gaspillé bien trop de mots pour ma mère (« répète-moi çà ! T’es sûr de ça ? Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? »), je me suis assis sur mon fauteuil. J’avais enregistré la conversation pour calculer ma limite et je me la suis repassée. Cette discussion m’avait coûté 216 mots de mon précieux quota. Plus que 271. J’étais certain de sentir mes voies respiratoires se rétrécir.

J’ai surfé sur le Net. Bien sûr, Google n’avait jamais entendu parler de ma maladie. Je n’ai tiré aucun réconfort à savoir que j’étais une singularité médicale.
J’ai allumé la télé. Ils passaient un film muet. J’ai éteint (pour éviter le problème d’antécédent). Mon téléphone a sonné. J’ai interrompu l’appel (raccrocher signifie « interrompre une conversation, et il ne parle pas). Il a sonné de nouveau. Je l’ai lancé contre le mur. Ça l’a fait taire. Vexé, je suis allé me coucher.

Je me suis réveillé le lendemain, déterminé à obtenir davantage de réponses. Les docteurs devaient pouvoir y faire quelque chose. Plutôt que de perdre plus de mots à appeler un taxi, j’ai décidé de retourner à l’hôpital à pied. D’habitude quand je me balade en ville, personne ne me jette ne serait ce qu’un coup d’œil. Et franchement, c’est comme ça que ça me plaît. Et bien pas aujourd’hui.
« Scusez moi, quelle heure est-il ? »
« Pouvez-vous me dire comment aller à la gare ? »
« Un peu de monnaie pour une tasse de thé ? »
« Seriez-vous prêts à donner cinq dollars pour une récolte de fonds au profit de la sauvegarde du péripate de la Grotte Blanche d’Afrique du Sud ? »
« Abruti. »
J’ai été obligé de tous les ignorer, ce qui était probablement le mieux à faire dans le dernier cas, et j’ai poursuivi mon chemin sans répondre. J’ai dû paraître vraiment grossier, au point qu’une personne m’a lancé « branleur ! » alors que je m’éloignais. Je dois avouer qu’on ne s’attend pas à ce qu’un bénévole pour une organisation caritative ait ce genre d’attitude, même s’il récolte des fonds pour des vers. Après avoir bravé les insultes, je suis arrivé à l’hôpital. Je me suis dirigé vers l’accueil et j’ai écrit le nom de mon docteur ainsi qu’une requête pour le voir sur un bout de papier. La dame à l’accueil l’a regardé en plissant les yeux. 

« Ça dit quoi, mon petit monsieur ? J’ai pas mes lunettes, j’y vois rien. »
J’ai proféré quelques jurons silencieux, mais je lui ai dit, « Pourrais-je voir le docteur Featherington Smythe-Hart, s’il vous plaît ? ». Je me demandais si les noms composés comptaient pour un ou deux mots. J’en étais maintenant réduit à deux cent soixante-cinq ou deux cent soixante-quatre.
« Il n’est pas là aujourd’hui mon petit monsieur, revenez demain. »

Le lendemain, j’y suis retourné. J’avais réussi à ne pas piper mot du reste de la journée précédente, malgré les efforts des passants, des gens derrière leurs étals au marché, des démarcheurs par téléphone et de mes parents. La veille au soir, je m’étais fait tomber une boîte de haricots blancs à la tomate sur le petit orteil et je n’avais pas émis un son, même si cela avait sans doute été encore plus douloureux que l’instrument métallique gratte-gorge dont le docteur s’était servi pour m’examiner. La dame à l’accueil avait heureusement pensé à amener ses lunettes aujourd’hui, et après n’avoir patienté que quatre heures et demie avec pour seul divertissement une édition du Daily Mirror vieille de sept mois, j’ai été autorisé à entrer dans le cabinet du docteur Featherington Smythe-Hart.
« Bonjour bonjour, comment allez-vous ? » a-t-il dit.
Je lui ai lancé un regard noir.
« Ah oui, c’est vrai. »
J’ai sorti mon bloc-notes et j’ai écrit, « N’y a-t-il rien d’autre que vous puissiez faire ? », puis je le lui ai montré.
« Qu’est-ce que ça dit, Monsieur ? J’ai pas mes lunettes, j’y vois rien. »
J’étais préparé à ça cette fois. J’avais apporté une loupe. Je l’ai sortie de ma poche arrière et la lui ai tendue. Il examina ma phrase.
« Bon, très bien. Combien de mots pensez-vous qu’il vous reste ? »
J’ai écrit. « 264 ou 265. Les noms composés comptent-ils pour un ou deux mots ? »
« Deux », a-t-il dit.
Nouveau regard noir.
« Dans ce cas, laissez-moi vous examiner de nouveau », a-t-il dit. Il a fouillé dans ses affaires – celles de son bureau je veux dire — et il en a sorti l’instrument gratte-gorge tant redouté. « Je viens juste de remplacer le papier de verre dessus », a-t-il ajouté. Ça avait presque l’air de lui faire plaisir.

Dix douloureuses minutes plus tard, il en avait fini avec le grattoir. Avec un sale petit instrument pointu, il avait aussi piqué et tiré la peau à l’extérieur de ma gorge, qui/et elle devait ressembler à une passoire maintenant. J’avais l’impression que si je buvais de l’eau, je ferais une très belle imitation d’une fontaine.
« Deux cent soixante-quatre mots dites-vous ? », a demandé le docteur.
J’ai hoché la tête.
« C’est juste que vous en avez considérablement moins de cela. »
Ça m’a pris toute mon énergie pour ne pas corriger son « de » en « que ». J’ai secoué la tête pour signaler qu’il devait y avoir une erreur dans ses calculs.
« Est-ce que vous parlez pendant votre sommeil ? », dit-il. « Il ne vous reste vraiment pas beaucoup de mots. »
J’ai écarquillé les yeux. Oh non, c’est vrai que je parlais pendant mon sommeil quand j’étais stressé. Et stressé, je l’étais particulièrement en ce moment.
« Merde ! »  J’ai hurlé avant de pouvoir m’en empêcher, ce qui a fait mal à ma gorge endolorie. Et soudain, je suis devenu tout bleu. À force d’avoir parlé, je me suis écroulé sur le sol, mort.
« Seulement un en fait », a dit le docteur. « C’était le dernier ».

Storytelling David Cook

Histoires à tomber par terre

(Translated into French by Carine Beauzor)

Jenny parcourut du regard la chambre qui avait été celle de son père. Les rideaux au bleu fané ; la moquette effilochée couleur crème qui se décollait aux coins ; la sculpture d’un obscur dieu de l’Égypte Antique se masturbant que son père avait achetée pendant les vacances simplement pour agacer maman ; la photo d’eux trois, prise le Noël de ses 14 ou 15 ans. Cette chambre avait été pleine de vie, mais maintenant tout était trop calme, trop tranquille.

Elle sortit, refermant la porte derrière elle. Elle ne savait pas quand elle se sentirait capable d’y revenir. Elle descendit les escaliers et s’assit sur le canapé brun du salon. L’enterrement ce matin avait été une épreuve difficile, tout aussi difficile que celui de sa mère, deux ans plus tôt et la veillée n’avait pas été moins douloureuse. Des parents jusque là inconnus offrant des condoléances, Reg, l’ami de son père, se tenant un peu trop près d’elle, fixant sa poitrine d’un regard vicieux – et à une veillée, pour l’amour de dieu, et qui lui dit, « si je peux faire quoi que ce soit, ma pauvre…  » Son fiancé Mark, dieu le bénisse, avait escorté Reg hors de la pièce. Plus tard, Mark avait voulu la raccompagner pour s’assurer qu’elle allait bien, mais elle l’avait assuré qu’elle avait besoin de rester seule. Il avait compris. Il était aussi gentil que ça.

Elle avait vécu dans cette maison toute sa vie. Qu’allait-elle faire maintenant que ses parents s’en étaient allés ? Elle regarda une autre photo, accrochée au-dessus de la télévision, qu’un photgraphe professionnel avait prise d’elle avec papa et maman il y a six ans. Sa mère, très maquillée et éblouissante de charme comme à son habitude, et son père beau comme toujours, avec sa barbe grisonnante.  
Jenny sourit malgré elle. Elle se rappelait les histoires ridicules que papa lui racontait quand elle avait quatre, cinq ans. Comme celle des petites filles qui, à leur neuvième anniversaire, se laissaient pousser la barbe pendant un an, ou celle de Jenny qui était en réalité un robot dont il remplaçait les piles une fois par mois pendant qu’elle dormait, au cas où elles se déchargeraient, ou encore celle de mamie qui avait vécu sur la Lune dans les années 70. Même à cet âge-là, elle n’y avait jamais cru, pas une seule seconde. « Papa, c’est pas vrai tout ça, hein ? » disait-elle. D’après ce qu’on lui avait dit, elle faisait preuve d’un surprenant manque d’énergie pour une enfant si jeune, mais il persistait, ne serait-ce que pour se distraire. Maman (plutôt que sa mère pour l’antécédent) lui disait souvent, « si tu continues à lui raconter des histoires idiotes, elle ne te croira pas quand tu lui diras quelque chose de vraiment important ».

Son sourire s’évanouit peu à peu, tout comme la lumière dehors. Jenny se demandait si elle devrait se préparer quelque chose à manger. Elle ne ressentait pas la faim, pourtant elle n’avait pas mangé une miette de la journée. C’était encore une autre chose que papa lui avait racontée, qu’il avait dressé les souris de la maison pour qu’elles ramassent les miettes par terre et en fassent de petites statues à leur effigie collées ensemble par leur bave pendant que tout le monde dormait.

Quel homme étrange son père avait été, vraiment.

Elle mit une tranche de pain à griller et fit un peu de rangement en attendant, sans grande conviction. Une fois le pain grillé, elle le tartina de beurre et en mangea la moitié. Et soudain, elle fut prise de vertiges, comme si toute son énergie se dispersait en même temps. Sa vue se brouilla et elle tomba par terre, son assiette l’accompagnant dans sa chute.
Le lendemain, Mark ouvrit la porte à coups de pied, après avoir longuement sonné à la porte, en vain. Il avait essayé sur son cellulaire aussi, mais il arrivait sur sa messagerie.
« Jenny ! » appela-t-il. « Tu es là ? Ça va ? »
D’un pas rapide, il traversa le salon pour se rendre à la cuisine et c’est là qu’il trouva Jenny, les joues pressées contre le linoléum, son épaisse chevelure blonde lui recouvrant les yeux.

« Oh mon dieu ! » dit-il, se hâtant de la rejoindre. « Jenny ! » hurla-t-il en s’agenouillant à ses côtés.
« Tu m’entends ? » Pas de réaction. Il lui enserra la taille et l’appela de nouveau en criant. Toujours rien. Mais il sentait … quelque chose sous sa main, là sous les vêtements de Jenny. Quelque chose d’étrange, comme un petit trou dans le bas du dos. Bizarre qu’il n’ait jamais rien remarqué avant. D’un geste délicat, il releva légèrement sa blouse.

C’était un trou de vis. La vis tenait un petit couvercle d’environ 5 centimètres sur 3. Il le regarda, médusé. Impossible que ce soit ça. Il sortit un couteau suisse de sa poche arrière, déplia le tournevis et s’en servit de levier pour soulever le couvercle. Il s’ouvrit d’un bruit sec.

Deux petites piles tombèrent du dos de Jenny et roulèrent par terre.
Alors que Mark contemplait la scène, stupéfait, il ne remarqua pas la minuscule, toute petite statue en miettes de pain dans un coin de la cuisine.

4 thoughts on “En Francais

Leave a comment